L’ACA est bien placée pour fournir des analyses pertinentes en matière de risques potentiels dans la région. Dans cette section, un personnage important de l’ACA nous éclaire sur les défis et les opportunités des marchés africains, à l’issue de l’interview que nous lui avions faite.

Mme. Toavina Ramamonjiarisoa
Toavina Ramamonjiarisoa, Directrice Générale par intérim de l’ACA, fait le point sur la situation actuelle et les scénarios de risques potentiels auxquels les entreprises de la région peuvent être confrontées.
Q: De votre point de vue en tant que DGi, quels sont les changements les plus frappants dans l’environnement des affaires en Afrique, au regard de la pandémie actuelle ?
La pandémie a profondément changé le mode de fonctionnement des entreprises dans le monde entier, leurs interactions avec leurs clients/partenaires et je dirais – sans pour autant minimiser les conséquences sociales et économiques de la pandémie – tout n’a pas été négatif.
Nous avons constaté des tests réels à grande échelle sur la continuité des affaires. Pour l’ACA la politique de télétravail mise en place depuis mi-mars 2020 a très bien fonctionné, grâce aux technologies disponibles. Nous devons même reconnaître que nous avons gagné en efficacité sur certains processus et avons sans aucun doute, des leçons à tirer de cette expérience.
Au regard de tout ce qui précède, il est à souligner que l’Afrique a un rôle à jouer en termes de technologie et d’innovation, et devrait certainement saisir cette opportunité pour renforcer son secteur technologique. Nous ne devons pas non plus perdre de vue le succès de la plateforme “argent mobile” créée au Kenya, l’un des pays membres de l’ACA, qui propose des services financiers par téléphonie, et qui a depuis été largement reproduite non seulement sur le continent, mais aussi dans le monde entier.
Mais bien entendu, la technologie ne peut pas tout résoudre. Certains pays dépendent essentiellement d’une source unique de revenus – notamment les économies dépendantes du pétrole ou du tourisme – pourraient être plus gravement touchés et auraient également besoin de plus de temps pour se remettre de cette crise. La pandémie donne également l’occasion de réévaluer la résilience de nos économies aux chocs extérieurs et de repenser nos modèles en faveur d’économies plus diversifiées.
Q: Quelle est votre évaluation de l’impact de la Covid-19 sur les marchés boursiers globalement et, qu’en est-il pour l’Afrique ?
La pandémie de Covid-19 a plongé la plupart des pays en récession, voire en dépression. Compte tenu de la sévérité de cette crise, toutes les principales banques centrales du monde devraient maintenir, pendant un certain temps, des mesures accommodantes afin de soutenir la reprise économique, qui pourrait prendre quelques années.
Par conséquent, il est probable que les taux d’intérêt du marché restent extrêmement faibles à court/moyen terme. Cela, à mon avis, encouragera les investisseurs à revenu fixe à la chasse au rendement, à rechercher des actifs alternatifs, tels que des prêts privés et des dettes. Au cours des dernières années, nous avons constaté une hausse de l’intérêt pour les placements non traditionnels. Cela pourrait même se transformer en opportunité pour l’Afrique.
En supposant que la taille globale des actifs sous gestion soit d’environ 90 000 Milliards d’USD et qu’environ 15% de ce montant soit investie dans des actifs alternatifs, soit 14 000 Milliards d’USD, nous pouvons estimer que si seulement 1% de ce montant peut être canalisé vers l’Afrique, le déficit annuel d’infrastructures du continent sera couvert. Il va de soi que l’Afrique devra attirer ces investisseurs. Sans aucun doute, la crise économique suscite de plus en plus d’inquiétudes quant à l’augmentation des taux de défaillance et nous nous attendons donc à ce que les investisseurs soient beaucoup plus sélectifs en matière de crédit.
Enfin, au-delà de la viabilité de la dette, les investisseurs accordent plus d’attention à la gouvernance environnementale, sociale et d’entreprise (ESE). Si l’ACA peut aider les pays à lever des fonds, les gouvernements peuvent aussi jouer leur partition en démontrant qu’ils peuvent répondre aux exigences des investisseurs.
Q: Quels sont les risques et les opportunités qui se présentent dans l’environnement actuel de COVID-19 – pour les gouvernements africains et pour ceux qui font des affaires sur le continent.
Les confinements ont créé un choc de demande négatif touchant fortement de nombreux secteurs, en particulier les secteurs du pétrole et du tourisme en Afrique. Bien que les récentes statistiques relatives à la pandémie semblent encourageantes dans de nombreux pays africains, il est encore trop tôt de dire que la pandémie est derrière nous.
Certains acteurs, qui ont jusqu’à présent fait preuve de résilience, pourraient ne pas survivre, en fonction de la durée de la crise et de la rapidité de la reprise économique mondiale. Ainsi, l’on ne pourra exclure la possibilité d’une augmentation des taux de défaillance au sein du secteur privé.
Avant la pandémie, de nombreux pays africains avaient augmenté leur ratio d’endettement en fonction des objectifs de croissance prévus. Une absence de croissance ou même une récession pourrait affecter la capacité de certains pays souverains à rembourser leurs dettes. Ceci dit, nous avons vu le G20 (Initiative de suspension du service de la dette) et diverses banques multilatérales (nouveaux financements), prendre diverses mesures afin de soutenir les économies les plus fragiles.
Q: Quelle partition l’ACA entend-elle jouer pour soutenir les investisseurs, les entreprises et les gouvernements pendant la pandémie ?
Au cours des trois dernières années, l’ACA a aidé un certain nombre de pays à lever des fonds sur le marché privé en jouant un triple rôle :
- faciliter l’accès aux grandes banques internationales et aux investisseurs pour ses pays membres;
- fournir des couvertures d’assurance non seulement pour améliorer la qualité de crédit des émissions et les rendre plus attrayantes pour les investisseurs les plus réticents au risque, mais aussi pour optimiser le coût du financement pour les émetteurs souverains; et
- attirer la capacité de réassurance pour favoriser des montants d’émission plus conséquents et satisfaire autant que possible les besoins financiers des pays.
Dans le cadre de la crise actuelle, nous croyons que de nombreux pays ont besoin de plus de fonds pour en atténuer l’impact économique et pour soutenir la reprise. Bien qu’un certain nombre de banques de développement aient annoncé leur soutien comme indiqué précédemment, il y a un grand besoin de fonds issus du secteur privé; et l’ACA est plus que jamais déterminée à poursuivre son rôle clé dans le but de déployer tout effort supplémentaire en vue d’attirer d’autres types d’investisseurs et d’aider à développer des financements mixtes ou d’autres structures qui pourraient catalyser les flux d’investissement sur le continent.
Q: Selon vous, à quoi ressembleront l’Afrique et l’ACA dans cinq ans- ? Comment se dessine le paysage économique?
Les États membres de l’ACA représentent actuellement un tiers des pays africains. L’adhésion à l’ACA a certainement progressé à un rythme très soutenu et on peut espérer que dans cinq ans, elle pourra représenter les deux tiers des pays africains et soutenir leurs projets de développement clés.
En outre, l’ACA a fait preuve, depuis quelques années, de sa capacité à développer des solutions innovantes pour ses pays membres. J’espère vivement que l’un des prochains nouveaux produits de l’ACA aidera ses membres à renforcer le secteur privé et créer plus d’emplois pour permettre une croissance plus inclusive et plus durable. Nous devons garder à l’esprit que l’Afrique a une population assez jeune à croissance rapide et qu’elle a besoin d’un plan de croissance à forte intensité de main-d’œuvre pour la jeune génération.
Il est aussi important que notre continent dispose d’économies plus diversifiées pour accroître sa résistance aux chocs extérieurs.
Toavina Ramamonjiarisoa a été nommée Directrice Financière de l’ACA en 2011 et ensuite Directrice Générale par intérim en août 2020. Elle a à son actif, plus de 20 ans d’expérience dans les domaines d’assurance et de finance. Avant de rejoindre l’ACA, Toavina était Directrice Financière, Directrice de la Conformité et membre du Conseil d’administration d’un gestionnaire d’actifs basé au Royaume-Uni, avec 1,2 milliards d’euros d’actifs à revenu fixe sous gestion. Elle a aussi occupé le poste de Contrôleur Financier Groupe chez Coface et Auditeur Financier chez Mazars, un cabinet d’audit international- toutes les deux institutions basées en France.